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Notre expérience sur le mil

Recherche paysanne : travail de l’ASPSP sur la sauvegarde des variétés du mil.

Par Irina Vekcha Thiélo, professeur en génétique à ENSA, Ecole Nationale Supérieure d’Agriculture, Sénégal.

 

  • Travail de Mbaye Diouf  sur la sauvegarde de 3 variétés du mil.

 

  • Intérêt des variétés paysannes ressorti de l’expérience avec l’ISRA.

 Mbaye Diouf est originaire du village de Lissar, région de Thiès, département de Tivaoune, commune de Koul.  Il vient d’une famille paysanne, qui depuis des générations, cultive la terre.

Il est  le membre de l’UGPM, Union des groupements paysans de Meckhé,  de l’ASPSP et il est le  secrétaire général du groupement villageois de Lissar.

Après avoir fait 11 ans de service militaire, il a décidé de retourner à la terre pour gérer l’exploitation familiale. Il a hérité 12 ha de son père  et à partir de 1997 à commencer à les cultiver, en pratiquant les cultures hivernales : mil, niébé, arachide, voandzou. Il vit dans une zone difficile : les sols sont pauvres, surexploités, la pluviométrie est faible, en moyennes de 350 mm par an ; les mauvaises récoltes sont fréquentes à cause de la sécheresse ou des attaques de striga.

En 2004- 2006, Mbaye Diouf avait une expérience de travail avec l’ISRA.

L’ISRA, Institut Sénégalaise de recherche agronomique,  est très active dans sa zone, notamment concernant les essais et la vulgarisation des nouvelles variétés. Mbaye Diouf était choisi par l'ISRA en tant que paysan pilote et il était initié aux techniques des essais expérimentaux.

Mbaye Diouf faisant dans son champ des essais en milieu paysan sur le niébé et de mil, notamment, il a étudié les variétés Melakh, Mouride du niébé, et les variétés IBV 8004 et Souna 3 du mil.

Il trouve que l’expérience sur le niébé était positive : il s’agit de variété hâtives à cycle de 60  jours qui permettent à une famille paysanne d’avoir rapidement la production et sortir d’une situation difficile pendant la période de soudure.

Concernant les variétés du mil, il a constaté que la variété  Souna 3  et la variété précoce IBV 8004 donnent bien avec l’apport d’engrais chimiques, mais sans engrais, elles ne donnent pas de bon rendement.

En 2006-2008, Mbaye Diouf avait une l’expérience sur le niébé avec le CERAAS, Centre de Recherche sur l’Amélioration de l’Adaptation à la Sécheresse.  Il s’agit de la comparaison des variétés de la recherche Yacine et Melakh avec la variété paysanne Ndiaga  Aw, selon 3 traitements de fertilisation ; l’étude à porter sur la comparaison de rendement et d’autres caractéristiques :

  • traitement 1 : forte dose d’engrais chimiques
  • traitement 2 : moitié de la dose d’engrais chimiques plus fumure organique
  • traitement 3 : fumure organique sans engrais chimiques.

Ces études ont montré que pour le traitement 1, les variétés de la recherche ont le rendement supérieur à celui de la variété paysanne Ndiaga  Aw, mais, pour le traitement 3, il n’y a pas de différence en ce qui concerne le rendement entre les variétés de la recherche et la variété paysanne.

 Ces expériences ont montré pour Mbaye Diouf clairement l’intérêt des variétés paysannes.

Il a vu que les variétés paysannes ont le même rendement, mais, il n’y a pas de dépense pour acheter les intrants, pas de dépendance des paysans, pas d’utilisation des produits toxiques. En plus les variétés paysannes sont bien adaptées. Les variétés paysannes marchent bien avec le compost et sans engrais chimiques.

Avec les variétés de la recherche, il faut avoir de l’argent pour acheter les semences et de l’engrais, - c’est trop cher pour les paysans, tandis qu’avec les variétés paysannes, on peut facilement se procurer des semences en demandant à un ami. Mbaye Diouf, lui-même, chaque année donne au minimum 25 kg de mil comme semences à ses amis.

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Il a vu que quand la recherche vient avec un programme, il est facile de travailler, mais quand elle part, on a du mal à continuer : il faut tout acheter : semences, engrais, et on a la paresse de faire enrichir le sol avec la fumure organique.

Actuellement Mbaye Diouf est en train de faire du compost avec le fumier de petits ruminants pour lutter contre la striga qui a fait de grave dégâts dans son champ en 2012. Il estime d’avoir 500-600 kg de compost pour l’hivernage 2014, ce qui est suffisant pour 0.5 ha.

 

 

  • Recherche dans son terroir des variétés menacées du mil,

L’intérêt principal pour Mbaye Diouf est le mil, la culture millénaire africaine.

En tant que membre de l’ASPSP il est devenu conscient de l’importance de travail sur le répertoire des variétés paysannes, notamment la recherche des variétés en voie de disparition.

A partir de 2007, Mbaye Diouf, suivant les instructions de l’ASPSP,  a entrepris le travail d’enquête sur les variétés locales du mil dans sa zone.

Ce travail lui a montré l’existence de 3 variétés locales dans sa zone, l’une portant le nom de Khoune et les deux autres n’avaient pas de nom à l’époque. A ces dernières, il a donné les noms de Souna Lack et Makhaly ; la variété Souna Lack – d’après son village Lack  qui est son d’origine village et la variété Makhaly - d’après le nom de la famille Makhali qui a développé cette variété. La variété Souna Khoune provient du village de Gade- Koul, et le nom de la variété  « Khoune »  signifie brun, puisque l’épi est de couleur brun.

Ces variétés existent dans leurs zones depuis des générations, mais elles se trouvent actuellement en  voie de disparition, menacées par les variétés de la recherche.

 Les trois variétés Makhaly Makhali, Souna Lack et Souna Khoune, d’après Mbaye Diouf, donnent une bonne productivité et présentent une bonne adaptation. Ces variétés sont différentes par la couleur et la taille de la graine et de l’épi.

Mbaye Diouf a élaboré un programme de sauvegarde de ces variétés : rechercher les souches, les multiplier et réintroduire chacune des variétés dans  sa localité d’origine. Il dit que dans ce travail, il était beaucoup aidé par Ndiaga Sall, ancien coordinateur de la COPAGEN Sénégal.

 

  •  

Le mil étant une plante allogame, son mode de reproduction  impose à l’agriculteur une vigilance particulière.  Il faut respecter les distances d’isolement entre les parcelles des variétés différentes d’un kilomètre pour préserver l’identité variétale. Ceci est difficile au Sénégal, vue le manque de terres cultivables.

La formation de l’ASPSP de 2006 a montré à Mbaye Diouf la nécessité de respecter les distances d’isolement entre les différentes  variétés du mi  d’un kilomètre pour produire les semences de bonne qualité, sans avoir la dégénérescence de la variété due à la pollinisation non contrôlée par d’autres variétés. Or, il a vu que c’est très difficile de respecter ces grandes distances d’isolement dans leur terroir à cause  de la proximité des parcelles des paysans qui cultivent des variétés différentes.

Conscient de l’importance de la multiplication des semences paysannes du mil, en respectant les respectant les distances d’isolement, Mbaye Diouf a vu la nécessité de s’organiser avec d’autres paysans de son village.

En 2007   il a commencé par la sensibilisation des paysans de son village sur l’intérêt des variétés paysannes et les problèmes des variétés de la recherche. Ensuite il a parlé de nécessité de respecter les distances d’isolement d’un kilomètre entre les parcelles des variétés différentes. Mais, ceci paraissait impossible aux paysans: «  Tu es fous, comment peut-on respecter les distances d’isolement d’un kilomètre ?! »

Mbaye Diouf a continué les discussions et finalement a parvenu à les convaincre que cela est possible. Il a élaboré alors une stratégie pour réaliser ces projets – il a décidé de regrouper autour de sa parcelle le maximum des paysans qui cultivent la même variété ; il s’agit de la production de semences de la variété Makhaly au village de Lissar. Il voulait avoir un rayon de 500 m autour de son champ de production de semences de la variété Makhaly, où il n’y a que la variété Makhali qui est cultivée tout autour par d’autres paysans.

Il a vu que la discussion n’est pas suffisante pour pouvoir réaliser ces projets et qu’il faut fournir aux paysans les semences pour qu’ils puissent les semer autour de son champ où il cultive la variété Makhali. Il avait 15 kg de variété Makhali et il les a distribués aux paysans qui ont des champs à côté du sien, en donnant à chaque paysan 2 kg pour les semer ensemble. Ainsi son champ est bien protégé de contaminations par d’autres variétés de tous les côtés.

 Mbaye Diouf a choisi une parcelle de 30 m X 30 m au centre de son champ pour la récolte comme semences.

 L’année suivante, en 2008, il a fait le même dispositif pour multiplier la variété Lack – dans le village Souna Lack,  et 2009, l’année d’après – la variété Khoune dans le village de Gade- Koul. Pour multiplier  la variété Souna Lack, Mbaye Diouf a du emprunter une  parcelle dans le village de Lack puisqu’il n’avait pas de champ là-bas.

Ainsi, Mbaye Diouf, avec d’autres paysans, a réussi à produire les semences de 3 variétés.

  • Réintroduction des variétés dans leurs terroirs.

L’étape suivante : c’est la réintroduction de chaque variété dans son terroir d’origine. Les paysans sont allés voir le producteur qui leur a donné les semences de la variété Souna Lack tout au  début, pour lui apporter les semences multipliées afin de faire revenir la variété Souna Lack dans son terroir.

Ils ont fait la même chose pour les variétés Souna Khoune et Makhaly.

Maintenant chacune des 3 variétés est largement cultivée dans sa zone d’origine.

Pour Mbaye Diouf, le paysan est le producteur et le chercheur, et il est fier d’être paysan!

Maintenant, ces variétés sont bien implantées dans leurs terroirs, où elles constituent l’essentiel de la production: Makhaly – à Lissar, Souna Lack  - dans le village de Lack et Souna Khoune – à Gade Koule. La variété Souna 3 présente une faible superficie, 5%, d’après Mbaye Diouf, et persiste dans leurs terroirs à cause des activités de la recherche.

Avant, les 3 variétés avaient une faible superficie, étaient en voie de disparition. Maintenant, elles s’étendent sur plus de 100 ha, cultivées par 60 producteurs.

Chaque terroir a sa semence : la semence de sa variété originaire de son terroir.

Ces variétés sont bien adaptées aux conditions locales, notamment elles donnent la production même pendant les années de sécheresse.

Et elles ont le même rendement que les variétés de la recherche, si l’on n’utilise pas d’engrais chimiques.

Mbaye Diouf a constaté qu’avec la Souna 3, en passant de semences de pré base à aux semences de base, le rendement diminue.

5).Paysans retournent vers les variétés locales.

Beaucoup de gens ont travaillé avec  la Souna 3, avant de revenir vers les variétés paysannes, convaincus de leur intérêt par le travail de Mbaye Diouf.

Les paysans qui ont travaillé avec Mbaye Diouf ont vu que leur champ n’est pas grand, mais la production est bonne. Ils ont décidé de continuer avec les semences paysannes – il n’y a pas de coût, mais avec les variétés de la recherche, il y a un coût.

D’autres paysans ont sollicité Mbaye Diouf, il leurs a donné de la semence pour faire la multiplier.

La recherche ne connait pas ces variétés. C’est Mbaye Diouf qui a identifié les variétés, leurs a donné les noms, a organisé la multiplication dans leurs terroirs et leur réintroduction massive dans leurs terroir d’origine.

6).Mil Makhaly.

Au début, la famille Makhaly ne voulait pas partager les semences de sa variété avec personne. Cette variété était dans la famille depuis des années.

Mbaye Diouf a côtoyé la famille Makhaly, ii a demandé à un Makhaly à propos de cette variété. « Elle vient de mon père qui l’a hérité de son père qui l’a amené de village Dere Mbaye, région de Fatick. Mon grand-père l’a amené dans la région de Thiès ».

Mbaye Diouf lui a demandé un peu de semences, Makhaly a dit qu’il faut faire beaucoup d’attention pour ne pas perdre la variété, finalement, il lui a donné 1 kg.

Il a semé, mais sans respecter les distances d’isolement, puisque à ce moment il ne connaissait pas leur importance.

Pour corriger son erreur et faire la multiplication selon les règles, il a encore demandé des semences, en faisant recours à certaines astuces, pour éviter le refus. Il les a multiplié dans un endroit isolé pour éviter les pollinisations non contrôlées.  Vu les difficultés pour trouver un endroit isolé dans son terroir, il a compris la nécessité d’organiser la multiplication collective d’une variété de mil dans un village.

Finalement, les membres de la famille Makhaly, vu que leur variété était multipliée sellons les règles de l’art et bien implantée dans leur village, ont réagi positivement, en acceptant la diffusion de leur variété.

 

7).Leçons de la Foire des semences paysannes de Djimini 2014.

Le 13 avril 2014, lors du conseil général de l’UGPM, Mbaye Diouf a partagé avec les participants ses impressions concernant la Foire des semences paysannes de Djimini 2014, à laquelle il a participé. Il a présenté la richesse des échanges de semences, des discussions et des participants.

Parmi les 82 groupements membres de l’UGPM, la moitié a dit que c’est aujourd’hui qu’ils ont entendu parler de l’ASPSP et son travail pour sauvegarder la semence paysanne.

Mbaye Diouf a participé dans toutes les Foires de Djimini, et il trouve que ces foires sont des événements extraordinaires et que chaque nouvelle foire connait le succès encore plus éclatant que la précédant.

 

Il a parlé notamment de l’expérience de la délégation indienne qui a pu résoudre le problème d’autosuffisance alimentaire chez eux grâce au mil originaire d’Afrique.  Pour Mbaye Diouf, cette expérience montre que les paysans sénégalais doivent valoriser davantage la culture du mil, ainsi que la transformation du mil.

 

 

  • Travail de l’ASPSP sur le répertoire des variétés paysannes.

Le répertoire des variétés paysannes est l’un des principaux objectifs de l’association. Ainsi, le premier souci de l’assemblé constitutif de l’ASPSP était de faire le répertoire des variétés paysannes dans les 4 zones agro-écologiques.

Pour faire le répertoire, l'ASPSP  a utilisée 2 méthodes principales :

  • enquêtes
  • foires

Au cours de ces enquêtes, les véritables cibles étaient les paysans, notamment les anciens, qui ont joué le rôle des personnes ressources. Ils donnaient des explications sur 

•     les pratiques culturales associées aux variétés existantes,

•     les variétés disparues en raison de nouvelles habitudes, de changements climatiques, notamment la faible pluviométrie,

•     les informations sur les variétés : le nom, quand, où et comment il a était donné, l'origine du terme et sa signification.

Un travail méticuleux a été réalisé par les membres de l’ASPSP en matière de l'identification des variétés pour éviter qu'une variété se répète sous les noms différents,

L’expérience des foires locales aux semences ont monté à l’ASPSP le rôle capital que jouent les foires dans la préservation des variétés menacées. Ainsi, l’ASPSP a pris l’option d’organiser les foires sous régionales tous les 2 ans et les foires nationales – tous les ans, chaque foire annuelle portée par une organisation membre de l’ASPSP.

 

Les foires aux semences paysannes ont permis de retrouver beaucoup de variétés perdues.

 

L'intérêt particulier de l’ASPSP porte sur les espèces d'origine africaine, et le mil est justement une culture originaire de l'Afrique de Ouest.

L’ASPSP a donné mandat à ses membres d’enquêter dans leurs terroirs pour chercher les variétés en voie de disparition dans chaque zone agro-écologique du Sénégal.

Pour bien armer intellectuellement ses membres, à partir de 2006, l’ASPSP a organisé une série de formations   sur les questions de variétés et de semences, en mettant l’accent sur la valeur des variétés paysannes.

Dans certaines localités, les variétés locales existent sans avoir un nom spécifique. Pour valoriser les variétés paysannes, L'ASPSP a donné des instructions concernant la nécessité de  donner le nom à chaque  variété locale qui n’a pas de nom et comment choisir le nom pour une variété.

 

 

  • Travail de l’ASPSP avec l’ISRA sur les variétés de mil.

L’ASPSP a participé en 2010 dans une étude des 15 variétés locales du mil en collaboration avec l’ISRA de Kolda. . Cette étude était menée avec le respect des principes  de la recherche participative. L’ASPSP a fourni les semences des variétés, et l’ISRA a mené l’étude des caractéristiques variétales.

Le dispositif expérimental comprenant 2 répétitions, avec la Souna 3 comme témoin.

L’étude a montré une bonne performance des variétés paysannes, notamment plusieurs variétés locales avaient le rendement supérieur à celui de Souna 3.

Une appréciation était faite que « la production de semences pour ce type de mil se justifie largement »

En 2012 l’ASPSP a fait un répertoire de 21 variétés de mil, comprenant notamment les variétés Thiotandi, le Violet de Fandène, etc.

Le mil Violet de Fandène a été découvert dans le village de Fandène ; c’est une variété de type souna qui résiste aux attaques des oiseaux.

 

  • Analyse.

 

L’expérience de l’ASPSP mérite une réflexion.

 

1). Les variétés souna 3 et IBV 8004.

Les variétés souna 3 et IBV 8004 figurent dans le catalogue variétal du Sénégal.

La Souna 3 est une  variété de type synthétique. Créé en 1972 au CNRA de Bambey, c’est une variété composée de 8 lignées venant des  Sounas locales. Son cycle est de  85- 95 jours, la longueur de la chandelle est de 51 cm.

 

L’IBV 8004 est une variété de type synthétique. Elle est créé en 1982 au CNRA de Bambey par croisements de Sounas locales avec le matériel venant du Nigéria : (7005 – 16 de Nigéria x Sérère 2 A x Sérère 14 x Souna III). Son cycle est de 75 - 85 jours, la longueur de la chandelle est de 37 cm.

Les variétés souna 3 et IBV 8004 sont créées sur la base de variétés paysannes : la variété souna 3 provient exclusivement des variétés locales sénégalaises, et la  variété IBV 8004  provient partiellement des variétés locales sénégalaises, partiellement de la variété locale nigériane, qui est aussi une variété africaine. L’origine de  ces deux variétés montre l’importance fondamentale de la biodiversité agricole africaine !

 

2). Recherche officielle et la recherche paysanne

La recherche ne connait pas bien les variétés traditionnelles du mil, malgré les programmes de recherche existants. L'ISRA ne connait pas les variétés identifiées par Mbaye Diouf. Elle connait les groupes de variétés Sounas (variétés précoces), Sanios (variétés tardives) et  Thiotandi, le mil de décru, spécifique de la vallée du fleuve Sénégal.

On voit ici la différence entre la recherche officielle et la recherche paysanne.

La  recherche  a sillonné tout le Sénégal pour faire des prospections sur le mil, les chercheurs ont fait des prélèvements des centaines d'échantillons, avec la distance moyenne entre les endroits de prélèvements de 20 km. Pourtant, ils n'ont pas trouvé ces variétés.

Il faut s'étonner de ce résultat.

On peut proposer 2 éléments d'explication.

D'une part, les chercheurs ont constaté un peu partout au Sénégal le changement graduel des caractéristiques des variétés en passant d'un champ à un champ voisin, certes, du au non-respect des distances d'isolement. Ils ont fait la conclusion qu'il s'agit de situation généralisée.

 Le non-respect fréquent des distances d'isolement résulte d’une situation complexe où il y a non seulement le manque d’information au niveau des paysans sur les distances d’isolement, mais surtout, la difficulté pratique de les appliquer.

D’autre part, leurs motivations sont différentes. Pour les chercheurs, la recherche des  les variétés distinctes qui gardent leur identité variétale, sans se mélanger avec d'autres variétés, fait partie de leur travail, et ils n'ont pas pu les trouver, malgré le fait qu’elles existent bel et bien.

Les paysans, comme Mbaye Diouf ont pu les trouver !

 Les paysans qui connaissent mieux leur réalité que les chercheurs, venus d'ailleurs, ont pu faire le travail complexe d’identification et de sauvegarde de leurs variétés malgré toutes les difficultés rencontrées, puisqu’il s’agit de préserver leur patrimoine vital pour le transmettre à leurs enfants ! Certes, ils sont plus motivés que les chercheurs !

Et ils ont obtenus les meilleurs résultats que la recherche, en ce qui concerne le répertoire des variétés locales du mil.

 

3) Expérience de Mbaye Diouf

Il est intéressant à noter que Mbaye Diouf avait une large expérience avec l'ISRA, mais, contrairement à l’objectif de l'ISRA, cette expérience lui a monté  clairement l'intérêt des variétés paysannes. Il a entrepris le travail très difficile de sauvegarde des variétés locales du mil, certes, guidé par la conscience de l'importance de patrimoine inestimable que représentent les variétés locales.

L’ASPSP a fait un grand travail de réflexion sur la notion du patrimoine communautaire multi dimensionnel de la semence. Il est très important pour les paysans d’être conscient de cette notion qui présente pour eux l’arme efficace pour résoudre de nombreux  problèmes liés à la question de semence.

L’ASPSP  a fixé l’objectif : chercher les variétés paysannes menacées du mil pour les sauver. Mbaye Diouf s’est mis au travail pour réaliser cet objectif dans son terroir. Il a su identifier les étapes de ce travail, les problèmes qui surgissent et élaborer les solutions.

Le problème le plus difficile est la production de semences d'une variété allogame en respectant les grandes distances d'isolement. Il a compris que ce problème nécessite une organisation des paysans du village, il a commencé par la variété de son village – la variété Makhaly, et, après avoir réussit cette étape, il a organisé la production de semences pour deux autres variétés qui se trouvent dans d'autres zones d'origine.

En organisant la production de semences de ces variétés, il a identifié le nouveau problème - il n'avait pas de champ dans le terroir de l’une de ces variétés et il a trouvé la solution, en empruntant le champ à quelqu'un.

Il est à noter, qu'il a dû se contenter des distances d'isolement de 500 m entre les différentes variétés au lieu de 1000 m, comme recommande la science. C'est un compromis qu'il a trouvé dans la situation difficile à laquelle il était confronté. Finalement, vu le résultat excellent auquel il a parvenu, avec les autres paysans, on peut juger ce compromis tout à fait acceptable.

Il est intéressant que pour Mbaye Diouf, le travail de sauvegarde des variétés paysannes, passe nécessairement par la phase de réintroduction de la variété multipliée dans sa zone d'origine en la remettant au paysan qui a fourni le lot initial de semence de la variété en question.  C'est une belle démarche : la variété menacée est sauvée et elle revient dans sa zone d'origine!  C'est un geste de gratitude envers la communauté qui a crée cette variété, geste qui montre que les paysans considèrent la semence comme la source de la vie.

 

4) Mil Makhaly.

Concernant la variété Makhaly, il est à noter, que l’attitude de la famille Makhaly de ne pas partager les semences de leur variété avec d’autres paysans, est rare. Généralement, les paysans apprécient l’intérêt pour leurs variétés et donnent volontiers un peu de semences si on les demande.

Cette attitude, inexplicable pour beaucoup de paysans, peut avoir un élément de justification dans la difficulté de préservation de l’identité variétale d’une variété de mil dans un environnement où il n’y a pas de respect des distances d’isolement, d’une part, par manque de connaissances, mais, surtout, à cause de la proximité des champs des paysans qui rend très difficile de le faire.

Certes, la famille Makhaly savait produire les semences de leur variété, en évitant les pollinisations incontrôlées par d’autres variétés, mais elle pensait que les autres paysans ne peuvent pas avoir cette  maitrise et  vont perdre la variété si on leur donne les semences – raison pour laquelle, probablement,  elle refusait la semence.

 

 

 

* Référence :

Préservation de l’agro biodiversité des cultivars locaux : mil, mais, sorgho par l’amélioration participative pour l’alimentation et l’agriculture au Sénégal, ISRA, Abdou Ndiaye. 2011.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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